Parfois, la vie vous sourit. Vous retrouvez un ancien ami que vous prenez pour un cinglé inoffensif, vous l'invitez à dîner sur une impulsion, et vous vous apercevez que pendant ces dix dernières années il est devenu très érudit, il a lu environ 200 000 livres, en fait il a toujours été érudit mais vous n'aviez jamais rien compris. Il est aussi très souriant, apporte des fraises, vous fait découvrir le Gendarme de la Poésie, vous explique que c'est Raymond Roussel qui a inventé le ready-made, sa femme lui avait demandé quelques chose d'inhabituel d'Inde, il lui a envoyé un radiateur. Il vous explique encore d'autres choses que vous oubliez un peu parce que vous buvez presque tout le cognac offert par vos amis, vieilli, équilibré, avec un spectre aromatique très vivace, raisin sec, banane, raisin (non sec), noix, anis et cumin, saveurs de melon mûr, tout va bien. Et puis quelques jours plus tard, deuxième impulsion, vous achetez un essai sur les Nouvelles Impressions d'Afrique, seulement vous n'avez pas d'argent, mais, royal, l'homme derrière le comptoir vous dit prenez-le quand même, on vous enverra une facture plus tard, il demande aussi si vous êtes Photographe, à cause de la beauté de votre appareil photo, et vous commencez à lire dans le métro le début de ce livre pas encore payé, et tout de suite vous êtes happée, vous sentez se profiler à l'horizon toute une constellation de lectures rousséliennes, illuminant votre été de leur lumière excentrique. Ça, c'est la vraie vie, les instants parfaits où tout semble converger. Pour tout le reste, il y a des proverbes yiddish. Par exemple, ce que tu dépenses l'hiver en chauffage, tu le dépenses l'été en stupidité.
25 juin 2006
le commissaire du zoo est un âne